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L'histoire
Depuis quelques semaines, les articles de journaux se succèdent
(Ouest-France Bretagne du 22 novembre) pour évoquer Le Corbeau des
Mers. Il est l'un des premiers bateaux à avoir répondu à l'appel du
Général de Gaulle du 18 juin 1940, pour rejoindre l'Angleterre, avec 27
personnes à bord.
Retrouvé à l'abandon en 1981, le bateau est depuis l'objet de tous
les soins, pour le musée de la Résistance Bretonne et l'association des
amis du Corbeau des Mers. Entre les deux époques, amnésie totale.
Jacqueline Couchot et sa soeur Monique Lespagnol veulent réparer cet
oubli.
Un bateau tout noir
« Après la guerre, le bateau est désarmé et retourne à l'anonymat
». Cette phrase, lue dans l'un des articles de presse, a beaucoup
peiné Jacqueline, la Trébeurdinaise, et Monique, la Camaretoise. Les
deux femmes sont les filles de Jean-Claude Le Moal, aujourd'hui décédé.
Leur père était marin pêcheur à l'Hôpital Camfrout (29), et propriétaire
du Corbeau des Mers, de 1958 à 1977. « Pendant cette période,
le bateau, tout noir, a permis de faire vivre une famille. Notre
jeunesse est liée à son nom ».
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Jean
Claude Le Moal (sue le canot) à pêché sur le Corbeau des
Mers de 1958 à 1977. |
Coquille l'hiver, maquereau l'été
L'émotion est palpable quand les deux Bretonnes évoquent les
souvenirs : « Notre père pêchait en compagnie de Roger, le matelot,
au rythme des saisons ». L'hiver, c'était la pêche à la drague :
coquille et pétoncle dans la rade de Brest. « Le bateau était basé
dans le port de Kerascoet ». À l'arrivée des bateaux, cale de Beg
Vir, les femmes rejoignaient le bord pour trier et nettoyer les
coquilles, « vendues ensuite à la coopérative ».
Suivait ensuite la période de carénage, calfatage et réparation des
bordées : « Des dizaines d'années après, les odeurs d'étoupe et du
brai sont encore présentes dans nos souvenirs ». Au printemps et en
été, le bateau changeait de secteur, pour la baie de Douarnenez jusqu'à
la fin des années 60, puis à Camaret, pour la pêche au maquereau et au
chinchard. Période joyeuse. « Le jeudi, on accompagnait papa. J'avais
le droit à une mitraillette avec moins d'hameçons pour pêcher », se
souvient Jacqueline, la plus jeune des deux soeurs. « Parfois, on
faisait des sorties plaisir à la voile, et on dormait à bord, dans le
poste avant. » Encore une odeur, de gasoil, dans les souvenirs.
Vendu en 1977
Jean-Claude Le Moal vendait son poisson en direct aux particuliers.
« La tournée se faisait à bord de la camionnette 2 CV, dans les
fermes alentours ». Le fruit de la pêche a permis, pendant près de
20 ans, à la famille de vivre, « sans grande fortune, mais on s'en
sortait ». En 1976, le départ du matelot à la retraite convainc
Jean-Claude Le Moal d'arrêter l'activité. « La pêche avait changé. Le
gros moteur Baudouin n'était plus assez puissant pour ce bateau très
lourd ». Le marin pêcheur décide de désarmer le Corbeau des Mers
et de le vendre, en 1977. « Notre père a rejoint la marine marchande,
mais est décédé d'un cancer deux ans après, à 55 ans à peine ».
Pour les deux soeurs, l'initiative de sauver le Corbeau des Mers
et l'inscrire au patrimoine maritime, est évidemment une bonne chose.
« Nous ferons un don », promet Jacqueline. Mais pour elle, le bateau
noir de son enfance reste bien vivant dans son esprit, et elle voudrait
que cette tranche de vie soit inscrite dans l'histoire du vieux bateau.
« Sur la poignée de la barre franche, un sou percé était fixé : je ne
sais pas s'il y est encore ».
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